Prothèse totale de hanche chez l’adolescent : des améliorations fonctionnelles et qualitatives majeures (étude BJJ 2025)

Introduction

La prothèse totale de hanche (PTH) chez l’adolescent est un acte chirurgical rare et délicat. Historiquement, les indications étaient extrêmement limitées – souvent réservées aux cas d’arthrite juvénile idiopathique (AJI) très invalidante – en raison des défis spécifiques à ce jeune âge. En effet, réaliser une PTH avant 20 ans soulève des préoccupations quant à la morphologie particulière de la hanche immature, à l’usure des implants sur plusieurs décennies et au risque élevé de révisions multiples au cours de la vie du patient. Par le passé, l’arthrodèse de hanche a parfois été privilégiée pour soulager la douleur tout en évitant ces problèmes de longévité prothétique, mais cette solution – source d’importantes limitations fonctionnelles et de troubles articulaires secondaires – est de moins en moins acceptée par les patients. De nos jours, malgré les progrès des traitements conservateurs et des chirurgies de préservation articulaire, certains adolescents évoluent vers une destruction articulaire terminale nécessitant une arthroplastie de hanche en dernier recours. La question n’est donc plus si une PTH doit être faite chez un adolescent en souffrance, mais comment optimiser les résultats et minimiser les risques dans cette population d’exception.

Une étude récente, publiée dans The Bone & Joint Journal (mai 2025) par Lamb et al., apporte des données précieuses sur ce sujet. Intitulée « Total hip arthroplasty in adolescent patients delivers large improvements in hip function and quality of life », cette étude de cohorte monocentrique rétrospective évalue les performances à long terme des PTH réalisées chez des patients adolescents sur une période de suivi pouvant atteindre 34 ans. Nous en présentons ci-dessous un résumé critique des principaux résultats, avant d’en discuter les implications cliniques, les limites et les recommandations pratiques qui en découlent pour la communauté orthopédique.

Résultats de l’étude

Les auteurs ont analysé 68 PTH pratiquées chez 49 patients âgés en moyenne de 16 ans (extrêmes de 10 à 19 ans) au moment de l’intervention. Cette cohorte s’étend d’avril 1971 à avril 2023, offrant un recul exceptionnel sur l’évolution des implants dans le temps. La survie des prothèses a été estimée par la méthode de Kaplan-Meier : le taux cumulatif de révision (toutes causes confondues) s’élève à 10 % à 10 ans, 29 % à 15 ans, 36 % à 20 ans, et atteint environ 45 % à 30 ans. Autrement dit, près de la moitié des implants posés à l’adolescence ont été révisés dans les trente années suivant la chirurgie, ce qui témoigne d’un taux de révision nettement supérieur à celui attendu chez des patients plus âgés. La cause principale des reprises était le descellement aseptique des composants prothétiques (cotyle et/ou fémur) au long cours, reflétant l’usure des implants chez ces sujets jeunes très actifs.

Sur le plan fonctionnel et de la qualité de vie, l’étude met en évidence des améliorations spectaculaires. Avant l’opération, ces adolescents présentaient des scores de hanche extrêmement bas, traduisant un handicap majeur. Le score d’Oxford de la hanche (OHS) médian n’était que de 10 points (sur 48) en préopératoire, et le score de Harris modifié (mHHS) médian de 28 (sur 100). Or, dès le premier suivi post-opératoire, ces scores grimpent respectivement à 45 pour l’OHS et 84 pour le mHHS – soit des niveaux approchant ceux d’un sujet sans handicap. Cette amélioration fonctionnelle s’accompagne d’un bond considérable de la qualité de vie rapportée par les patients : l’indice EQ-5D-3L moyen est passé d’une valeur négative de -0,35 (état perçu comme « pire que la mort » en termes de qualité de vie) avant la PTH à 0,71 après intervention. Les auteurs soulignent ainsi que ces adolescents, souffrant de pathologies de hanche en phase terminale, présentaient avant la chirurgie « parmi les pires états de santé envisageables en orthopédie » – une situation drastiquement améliorée grâce à la prothèse.

Implications cliniques et limites de l’étude

Cette étude confirme qu’une PTH bien conduite chez l’adolescent peut transformer radicalement le pronostic fonctionnel. Malgré un recul médian relativement court (4,6 ans) pour l’ensemble de la cohorte, les données combinées suggèrent que la majorité des patients tirent un bénéfice important de leur prothèse pendant au moins une à deux décennies. Pour des jeunes confrontés à une impotence douloureuse massive, la PTH offre un retour à une autonomie et une qualité de vie proches de la normale, ce qui est un résultat remarquable. Ces conclusions renforcent l’idée, désormais admise, que l’arthroplastie est une option thérapeutique acceptable – voire souhaitable – chez les adolescents atteints d’arthropathie évoluée, à condition de bien sélectionner les cas. Les bénéfices socio-économiques potentiels sont également à considérer : en redonnant mobilité et indépendance à de jeunes patients, la PTH peut leur permettre de poursuivre des études, d’exercer un emploi et d’avoir une vie sociale active, là où une hanche ankylosée les aurait lourdement handicapés. Ces aspects, bien que non quantifiés dans l’étude, méritent d’être explorés plus avant, comme le suggèrent les auteurs.

Néanmoins, les résultats doivent être interprétés avec prudence. Le taux de révision cumulatif élevé (près de 1 patient sur 2 réopéré à 30 ans) rappelle qu’une PTH posée à 15-20 ans ne sera généralement pas la dernière : ces patients auront très probablement besoin d’une ou plusieurs chirurgies de révision au cours de leur vie. Les chirurgiens et les patients doivent en être conscients et planifier le parcours de soin en conséquence (suivi rapproché, anticipation des reprises). Il convient de noter que le taux de survie implantable observé à 10-15 ans (environ 70-90 % sans révision) est comparable aux données de registres nationaux sur des patients du même âge, ce qui valide partiellement l’extrapolation des résultats malgré la taille modeste de l’échantillon. Parmi les limites méthodologiques, on soulignera en effet que cette étude est rétrospective, monocentrique et inclut un nombre limité de patients (49 adolescents). De plus, la période de plus de 50 ans couverte implique une hétérogénéité des techniques et des implants utilisés : les premières PTH des années 1970-80 (tiges souvent cimentées, polyéthylène de première génération) n’ont pas bénéficié des avancées plus récentes (matériaux hautement résistants à l’usure, implants sans ciment optimisés) – ce qui a pu influencer les résultats à long terme. Les données fonctionnelles et de qualité de vie n’ont pu être recueillies que sur un sous-groupe de patients relativement récent, avec un suivi médian d’environ 1 à 2 ans, limitant l’évaluation de l’évolution fonctionnelle à long terme. Enfin, aucune analyse de sous-groupes n’est détaillée (par exemple selon l’étiologie ou l’implant), ce qui aurait pu être instructif. Les auteurs reconnaissent que leurs résultats doivent surtout servir de base à de futures recherches et à l’élaboration d’études prospectives de plus grande envergure, plutôt que de normes définitives. En résumé, cette étude pionnière apporte des indications précieuses, mais des travaux complémentaires (notamment multicentriques et à plus long terme) seront nécessaires pour affiner les recommandations et les protocoles chez ces patients hors du commun.

Recommandations pratiques

À la lumière de ces résultats et de la littérature existante, voici quelques recommandations à destination des chirurgiens orthopédistes confrontés à des cas d’adolescents avec pathologie de hanche :

  • Sélection des indications : La PTH chez l’adolescent doit rester exceptionnelle et réservée aux situations d’arthropathie terminale avec douleur et handicap sévères résistant aux traitements médicaux et conservateurs. Les indications typiques incluent l’AJI (cause longtemps prédominante), les nécroses avasculaires de la tête fémorale (par exemple séquelles d’épiphysiolyse ou de maladie de Legg-Perthes) et certaines dysplasies ou séquelles traumatiques graves. Une discussion multidisciplinaire est recommandée, impliquant orthopédiste pédiatrique et adulte. Idéalement, on attendra la fin de la croissance (fermeture des cartilages) avant l’arthroplastie pour éviter les complications liées à la croissance résiduelle. Néanmoins, en cas de destruction articulaire massive chez un grand adolescent prépubère, la PTH peut être envisagée en ultime recours – chaque cas devant alors être évalué individuellement. Il est crucial d’informer le patient (et sa famille) des bénéfices attendus mais aussi des contraintes : risque élevé de révision future, besoin d’un suivi à vie et possibles restrictions d’activité intense.
  • Technique chirurgicale : Ces chirurgies doivent être réalisées dans des centres spécialisés disposant de l’expertise et de l’instrumentation adaptée aux petites anatomies. Un planification préopératoire minutieuse est indispensable (imagerie 3D si nécessaire) pour gérer d’éventuelles déformations sévères de la hanche. La plupart des équipes privilégient aujourd’hui des implants sans ciment pour favoriser une fixation biologique durable, associées à des couples de frottement à faible usure (céramique-céramique ou céramique-polyéthylène hautement réticulé). L’utilisation de têtes fémorales de grand diamètre, ou de cotyles à double mobilité, peut aider à réduire le risque de luxation tout en permettant une amplitude satisfaisante – un atout chez ces patients jeunes et actifs. En cas d’anomalies anatomiques majeures (dysplasie sévère, antécédents chirurgicaux), des implants sur mesure (CAD/CAM) ou des techniques complémentaires (ostéotomies, greffes osseuses structurales) peuvent être requis. Par ailleurs, il convient de préserver au maximum le capital osseux lors de la première PTH (choix d’un implant de petite taille, rasages osseux prudents), dans l’optique de faciliter d’éventuelles révisions ultérieures. L’arthrodèse de hanche, autrefois proposée chez le grand adolescent pour différer la prothèse, n’a quasiment plus de place aujourd’hui compte tenu de son impact fonctionnel négatif et de la préférence largement exprimée des patients pour une articulation mobile.
  • Suivi postopératoire : Un suivi rapproché et prolongé est indispensable après une PTH chez un sujet si jeune. Il est recommandé de revoir le patient tous les 6 à 12 mois les premières années, puis annuellement à vie, avec examen clinique et radiographies de contrôle. L’objectif est de dépister précocement d’éventuels signes d’usure, de descellement ou de complications (douleurs inexpliquées, boiterie, radioclartés autour des implants, etc.) afin d’intervenir avant que le problème ne compromette la reconstruction. Les patients doivent être encouragés à maintenir une activité physique modérée régulière (pour entretenir leur fonction musculaire et leur santé globale), tout en évitant les sports à fort impact ou les charges excessives qui pourraient accélérer l’usure prothétique. Une éducation approfondie du patient est nécessaire pour qu’il comprenne l’importance de ce suivi et l’éventualité quasi certaine d’une future révision : il ne s’agit pas de « décourager » le jeune, mais de l’impliquer dans la gestion à long terme de sa prothèse. Enfin, lorsqu’une révision s’impose (par exemple pour descellement aseptique au bout de 15-20 ans), celle-ci devrait idéalement être réalisée dans un centre expert en chirurgie de reprise, afin de maximiser les chances de succès et la conservation du capital osseux restant.

Conclusion

La prothèse totale de hanche chez l’adolescent, bien qu’inhabituelle, est parfois la seule solution pour libérer un jeune patient d’une vie de douleur et de handicap. L’étude de Lamb et al. (BJJ 2025) démontre que les bénéfices fonctionnels et en qualité de vie peuvent être immenses, transformant littéralement le quotidien de ces patients autrefois condamnés à la souffrance. En contrepartie, la communauté orthopédique doit accepter un taux de révision plus élevé qu’avec des patients plus âgés, et donc planifier chaque PTH chez un adolescent comme la première étape d’un parcours de soins s’étalant potentiellement sur plusieurs décennies. La clé du succès réside dans une sélection rigoureuse des indications, une technique chirurgicale optimisée (tirant parti des avancées modernes) et un suivi à long terme irréprochable. De plus, chaque cas apporte son lot d’enseignements : il est crucial de contribuer à des registres et études collaboratives pour accumuler les données nécessaires à l’établissement de recommandations fondées sur des preuves solides. En définitive, traiter un adolescent par PTH nécessite un équilibre subtil entre l’audace chirurgicale et la prudence à long terme. Lorsqu’il est atteint, le résultat peut redonner à un jeune patient des années de vie active et de pleine participation sociale – un objectif qui mérite nos efforts continus de perfectionnement et de suivi.

Références

  1. Lamb JN, et al. “Total hip arthroplasty in adolescent patients delivers large improvements in hip function and quality of life: a single-centre cohort study with up to 34 years of follow-up.” Bone & Joint Journal 2025; 107-B(5 Suppl A):9–15.
  2. Huerfano E, et al. “Total hip arthroplasty in adolescents: a systematic review and meta-analysis.” International Orthopaedics 2024; 48:2483–2492.
  3. Fernandez-Fernandez R, et al. “Outcome measures and survivorship following total hip arthroplasty in adolescent population.” International Orthopaedics 2022; 46:2785–2791.
  4. Patel NK, et al. “Total hip arthroplasty in teenagers: An alternative to hip arthrodesis.” HIP International 2012; 22(6):621–627.
  5. Bayliss LE, et al. “The effect of patient age at intervention on risk of implant revision after total replacement of the hip or knee: a population-based cohort study.” Lancet 2017; 389(10077):1424–1430.

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