Introduction
Les fractures de la scapula sont rares (<1 % des fractures) et surviennent le plus souvent dans un contexte de traumatisme à haute énergie*. Elles touchent préférentiellement des sujets jeunes et actifs, souvent de sexe masculin*. Chez les athlètes de sports de contact, ces fractures sont « sérieuses et prolongent la convalescence »*. Ainsi, McIntosh et al. ont rapporté 11 fractures de scapula chez des joueurs professionnels (rugby, soccer) (âge moyen 28 ans) : le retour au jeu intervenait en moyenne à 127 jours après traitement non opératoire et 163 jours après ostéosynthèse*.
Dans cet article -Le Traumato-, nous illustrons la prise en charge chirurgicale à l’aide d’un cas récent d’un joueur de rugby de 23 ans présentant une fracture comminutive intra-articulaire de la scapula (col glénoïdien) avec envol majeur du bord supérieur et du coracoïde. Les auteurs du cas JBJS (2025) décrivent une ostéosynthèse par plaque du corps scapulaire latéral aboutissant à une consolidation en moins d’un an et un retour au sport au même horizon*. Nous faisons le point sur l’épidémiologie, les indications opératoires, les voies d’abord et stratégies d’ostéosynthèse, les complications possibles et la rééducation adaptée aux sportifs de haut niveau. Les recommandations sont illustrées par ce cas et par la littérature récente (JBJS, JSES, OJSM…).
Épidémiologie
La scapula se fracture rarement en pratique sportive. Au total, moins de 5 % des fractures de la ceinture scapulaire concernent la scapula, qui reste très sollicitée dans les chocs directs ou les chutes*. Les mécanismes observés chez les athlètes diffèrent de ceux des patients traumatisés : dans le sport (rugby, football, sports de combat), 70 % des fractures scapulaires sont dues à un choc latéral ou une chute sur le moignon de l’épaule*. Dans une série anglaise, les fractures en impact direct entraînaient des fractures du col et du corps de la scapula (délai de retour aux sports ~4 mois)*. À l’inverse, les fractures du corps scapulaire survenant lors d’efforts musculaires inhabituels (par exemple chez des haltérophiles) sont généralement peu déplacées et se guérissent bien sans intervention chirurgicale*. La revue systématique de Neral et al. (2018) confirme que, chez l’athlète, les fractures du corps de la scapula résultent majoritairement de forces de résistance musculaire en sport de contact. Dans cette série de 10 cas, 90 % ont été traités non-opératoirement avec retour au sport en moyenne à 2,5 mois et sans complications rapportées*.
Indications chirurgicales
La plupart des fractures scapulaires en sport peuvent être initialement traitées de façon conservatrice (écharpe, mobilisation précoce). Toutefois, certaines formes graves imposent une ostéosynthèse. On considère classiquement comme critères d’intervention :
- Fractures intra-articulaires déplacées (fractures du glénoïde) – la chirurgie est généralement indiquée si le décalage articulaire est ≥5 mm ou si l’extension de l’infraction dépasse ~25 % de la surface glénoïdienne (risque d’instabilité gléno-humérale). En deçà (décalage <4–5 mm, faible encombrement), les résultats non opératoires sont habituellement excellents*.
- Déplacement du corps ou du col scapulaire – on suggère l’ostéosynthèse en cas de grand déplacement (translation médiolatérale ≥20–25 mm) ou d’angulation marquée (≥45°)*. Jones et al. recommandent en pratique de ne pas opérer si le fragment scapulaire reste déplacé <20 mm*. De plus, un angle gléno-polaire bas (≤20°) ou la déstabilisation du complexe suspensif supérieur de l’épaule (plusieurs « double lésion », par exemple coracoïde et scapulaire fracturés) constituent des indications claires, de même que les fractures ouvertes*.
- Patients sportifs ou à fortes exigences fonctionnelles – en pratique, le statut athlète peut faire pencher en faveur de l’ostéosynthèse pour rétablir une anatomie la plus parfaite possible et permettre une récupération optimale. Le cas clinique présenté illustre un traitement personnalisé chez un rugbyman jeune et actif, dont la fracture articulaire comminutive (encombrement des fragments glénoïdiens) justifiait une fixation interne précoce*.
- Complications associées ou défaillances du traitement conservateur – suspicion de lésion du nerf suprascapulaire (faiblesse de l’infra-épineux), autres lésions associées (fractures de côtes), ou pseudarthrose douloureuse peuvent également motiver une chirurgie d’emblée ou secondaire. McIntosh a noté que 20 % des cas sportifs avaient une atteinte du nerf supra-scapulaire associée*.
Ainsi, la décision opératoire est individualisée selon la topographie et la gravité de la fracture ainsi que les objectifs du patient. Dans le cas rapporté, la mobilité articulaire et la stabilité glénoïdienne obtenues en peropératoire ont permis au patient un retour complet au rugby en moins d’un an*.
Technique opératoire
La voie d’abord la plus utilisée est l’approche postérieure extensile (Judet), éventuellement modifiée pour épargner le deltoïde*. Le patient est installé en décubitus latéral, membre opéré sur appui. L’incision s’étend du coin postérieur de l’acromion au niveau du bord médial, permettant l’exposition du corps et du bord scapulaire ainsi que du glénoïde (colonne latérale)*. Lors de cet abord, le nerf suprascapulaire doit être préservé au niveau de l’échancrure entre l’épine et la glène*. L’infra-épineux peut être détaché (ténotomie) si nécessaire pour améliorer la vision du pôle articulaire postérieur*. D’autres voies existent pour des lésions antérieures : l’abord delto-pectoral est indiqué pour les fractures de l’avant-glène (glenoid rim antérieur), et quelques équipes explorent des techniques mini-invasives ou arthroscopiques pour les petits fragments glénoïdiens.
Après décollement sous-périosté délicat, la réduction de la fracture est obtenue par des pinces et leviers (réduction de l’angle gléno-polaire, alignement de la colonne latérale) suivie d’une ostéosynthèse stable. Fixation : on place classiquement une plaque le long de la colonne latérale de la scapula (coplanétaire à l’angle de 30–45° qu’elle forme avec la glène)*. Des plaques LCP 3,5 mm ou 2,7 mm sont souvent employées, adaptées à la qualité osseuse*. Dans le cas décrit, une plaque scapulaire latérale a servi à bloquer l’ensemble comminution glénoïdienne et l’éclat du bord supérieur*. La visserie longitudinale (distale et proximale) rigidifie l’ostéosynthèse. On obtient ainsi le réalignement de la colonne latérale, ce qui restaure la fonction de la coiffe et évite un conflit postérieur en rotation externe*. Si un fragment du glénoïde est séparé (p. ex. fracture-luxation, fracture du bord coronoïde), on peut ajouter des mini-plaque ou vis intra-articulaires sous contrôle amplificateur. Enfin, en présence d’une fracture du coracoïde (flottante avec double rupture du complexe), on fixe le fragment coracoïdien en sus (vis ou plaque) pour rétablir la continuité du complexe suspensif.
Stratégies de fixation et stabilisation
- Respect de l’anatomie glénoïdienne : s’assurer de réduire sans marche articulaire significative. L’excellent centrage huméral obtenu en perop est crucial pour le résultat fonctionnel.
- Renforcement de la colonne latérale : la plaque postérieure « colonne latérale » guide la réduction. Comme expliqué par Bouaicha et al., l’ostéosynthèse vise à « realign the lateral column » pour optimiser la dynamique rotatorienne*.
- Fixation rigide et stable : utilisation de plaques verrouillées (LCP) pour permettre une mobilisation précoce et prévenir la perte de réduction.
- Abord combiné si nécessaire : en cas de lésion articulaire antérieure associée (fragment glénoïdien antérieur) on peut combiner avec une petite incision antérieure. L’arthroscopie n’est généralement pas nécessaire, sauf parfois pour confirmer la congruence articulaire.
- Contrôle radiographique : la bonne position est vérifiée sous amplificateur (surtout vue axiale et en Y de scapula).
Rééducation
La reprise de la mobilité doit être progressive. Durant les 3 premières semaines, le bras est immobilisé en écharpe ou minerve d’abduction pour protéger la réparation, en autorisant seulement des mouvements passifs très limités du coude et du poignet pour prévenir la raideur. Dès la fin de la 3ᵉ semaine (Phase 2), la rééducation passe à des mouvements actifs-assistés jusqu’à 90° d’élévation (hors conflit), sans forcer l’adduction du bras vers le tronc*. Après 6 semaines (Phase 3), l’appui complet est autorisé. On entreprend alors des exercices actifs complets au dessus de l’horizontale et du renforcement isométrique puis concentrique progressif (élastiques, poulies, musculation légère)**. L’objectif est de retrouver une rotation externe complète et une stabilisation périscapulaire harmonieuse. Une surveillance radiographique assure la consolidation attendue vers 10–12 semaines*.
Chez l’athlète de haut niveau, la reprise des activités spécifiques (lancers, contact) est différée jusqu’à consolidation solide (souvent vers 3–4 mois). Le cas rapporté a pu reprendre le rugby sans douleur et avec amplitude complète en moins d’un an*. McIntosh et al. rapportent en moyenne 4 à 6 mois avant retour au sport de contact*, selon l’échec ou le succès du traitement conservateur.
Complications potentielles
Les complications surviennent rarement lorsque l’ostéosynthèse est correcte, mais il faut en être conscient :
- Atteintes nerveuses iatrogènes (nerf supra-scapulaire, axillaire) lors de l’abord postérieur ou de la réduction. L’atteinte du nerf suprascapulaire peut aggraver la faiblesse de la coiffe ; McIntosh note 2 cas sur 11 (20 %) de lésion associée après fracture à impact direct*.
- Infection ou syndrome algodystrophique – classiquement faibles si antisepsie rigoureuse, mais possibles comme toute chirurgie ouverte.
- Non-union / malunion – Exceptionnel selon la littérature (taux de pseudarthrose proche de 0 %)*. Les rares cas de pseudarthrose nécessitent une reprise chirurgicale (greffe, nouvelle plaque) comme illustré par quelques rapports de cas.
- Raideur et douleurs persistantes – Malgré la consolidation, jusqu’à 30 % des patients conservent une douleur et une perte de force modérées*. La limitation peut être liée à une raideur de l’épaule ou à une dysmétrie d’angle gléno-polaire.
- Arthrose post-traumatique gléno-humérale – particulièrement après fractures articulaires non anatomiquement réduites. Sernandez et al. notent que les séquelles telles que l’arthrose ou le besoin de réintervention sont les complications les plus fréquentes à long terme*.
- Syndrome de conflit sous-acromial ou matériel gênant – les arêtes osseuses résiduelles ou les plaques proéminentes peuvent nécessiter une libération secondaire.
Discussion
La prise en charge des fractures scapulaires intra-articulaires chez l’athlète doit être personnalisée. Le cas présenté le confirme : un joueur de rugby jeune avec fracture glénoïdienne complexe a bénéficié d’une chirurgie précoce et d’une rééducation intensive, pour retrouver un fonctionnement normal. Cela rejoint les recommandations générales : pour les formes complexes (fractures comminutives, déplacements importants, fractures à double siège) la stabilisation chirurgicale optimise les chances de récupération de la force et de la mobilité*.
À l’inverse, plusieurs séries récentes insistent sur la bonne pronostic des fractures scapulaires minimes traitées sans chirurgie. Jones et al. rapportent qu’il n’existe pas de différence de guérison ou de retour au travail entre un traitement chirurgical et non chirurgical pour les fractures déplacées de scapula, et déconseillent l’ostéosynthèse si le déplacement est <20 mm*. Dans le cas des fractures glénoïdiennes après luxation antérieure, Wieser et al. ont même obtenu de bons résultats sans chirurgie quel que soit le volume du fragment, du moment que la tête restait centrée* (série de patients de 29–67 ans).
Chez l’athlète, le calendrier de reprise est souvent prioritaire. McIntosh souligne que le retour au sport est plus rapide si la fracture est minime ou traitée tôt*. Le dialogue médecin–athlète doit inclure ces données : « Risques et bénéfices des deux options (chirurgicale ou non) doivent être pesés, en rappelant que le risque de non-union est exceptionnel quel que soit le traitement et que la douleur post-traumatique reste malheureusement fréquente*. » Chaque fracture doit donc être évaluée dans son ensemble (type de sport, saison en cours, niveau d’exigence).
Conclusion
En synthèse, la chirurgie est indiquée pour les fractures intra-articulaires déplacées de la scapula et pour les fractures du col/corps très déplacées ou instables**. L’abord postérieur (Judet modifié) associé à une plaque sur la colonne latérale permet de rétablir la biomécanique scapulaire**. La rééducation doit être progressive, avec mobilisation précoce dès l’obtention de la stabilité, afin de prévenir la raideur. Les athlètes de haut niveau bénéficient souvent d’une ostéosynthèse qui facilite un retour en compétition (généralement 4–9 mois)**.
Références
- N. Neral et al., “Scapular Body Fracture in the Athlete: A Systematic Review”, HSS J 2018;14(3):328-332*.
- J. McIntosh et al., “Scapula Fractures in Elite Soccer and Rugby Players”, Orthop J Sports Med 2019;7(12):2325967119887388*.
- H. C. Sernandez et al., “Sling and forget it? A systematic review of operative versus nonoperative outcomes for scapula fractures”, J Shoulder Elbow Surg 2024;33(12):2743-2754*.
- S. J. Peresuh et al., “Complex, Displaced Intra-articular Scapular Fracture in a Young Athlete: A Case Report”, JBJS Case Connect 2025;15(2)*.
- L. K. Schroder et al., “Functional Outcomes After Operative Management of Extra-Articular Glenoid Neck and Scapular Body Fractures”, J Bone Joint Surg Am 2016;98(19):1623-1630*.
- C. B. Jones & D. L. Sietsema, “Analysis of operative versus nonoperative treatment of displaced scapular fractures”, Clin Orthop Relat Res 2011;469(12):3379-3389*.
- Orthobullets – “Scapula Fractures”, Section Trauma, consulted 2025**. (Guide de référence spécialisé)
- AO Surgery Reference – “Approach to scapular body (Judet)”, “ORIF plate fixation for scapula body”, consulted 2025**. (Guides techniques)