Introduction
Les patients affirment souvent que leurs douleurs articulaires changent avec la météo – la hanche qui « fait mal avant la pluie » est un récit bien connu en rhumatologie. En pratique, de nombreux cas d’arthrose ou de polyarthrite semblent empirer par temps humide ou froid. Pourtant, la littérature scientifique peine à établir un consensus sur cette météosensibilité articulaire. Certaines études suggèrent une corrélation modeste entre les changements barométriques et la douleur articulaire, tandis que d’autres n’observent aucun lien significatif*. Dans ce contexte incertain, qu’en est-il des patients ayant bénéficié d’une arthroplastie totale de hanche (ATH) ? L’intervention soulage efficacement la douleur arthrosique, mais son impact sur les douleurs d’origine météorologique reste à définir. L’article intitulé “Weathering the Storm: The Impact of Total Hip Arthroplasty on Weather-Related Pain” se penche sur cette question. Cet article de blog, à visée pédagogique pour les chirurgiens orthopédistes, reprend les points clés de cette étude selon le format IMRaD (Introduction, Méthodes, Résultats, Discussion) et en propose une interprétation clinique.
Méthodes
Les auteurs ont conduit une étude transversale observationnelle auprès de patients ayant subi une arthroplastie totale de hanche primaire. 331 patients consécutifs (âgés en moyenne de 67 ans, 55 % de femmes, d’après les caractéristiques rapportées) ont été inclus lors de leur visite de suivi post-opératoire (généralement entre 6 et 12 mois après l’ATH). Comme certains patients avaient deux hanches remplacées, l’analyse a porté sur 442 prothèses de hanche au total. Un questionnaire spécifique a été élaboré pour évaluer la présence de douleurs articulaires liées aux conditions météorologiques avant la chirurgie, puis après l’ATH. Concrètement, on demandait aux patients si leurs douleurs de hanche (ou autres douleurs articulaires) s’aggravaient par temps froid, humide, lors des changements de pression barométrique, etc., aussi bien avant qu’après l’intervention. Les chercheurs ont corrélé ces informations avec les données cliniques des patients, notamment les scores de résultats rapportés par les patients (PROMs) collectés en routine. Enfin, ils ont analysé quels facteurs (démographiques ou liés à la maladie) pouvaient prédisposer aux douleurs météorologiques post-ATH.
Résultats
Avant l’opération, environ 18 % des patients (61 sur 331) souffraient de douleurs accrues lors de certaines conditions météorologiques (par exemple à l’approche d’un orage ou par temps froid). Ce chiffre confirme que le phénomène est loin d’être anecdotique chez les candidats à l’ATH. Après l’ATH, la bonne nouvelle est qu’une grande partie de ces douleurs météorologiques a disparu : 69 % des patients qui en souffraient initialement ont rapporté une disparition complète de ce symptôme après la chirurgie (différence hautement significative, p < 0,001)*. Autrement dit, plus de deux patients sur trois n’avaient plus mal à la hanche quand le temps changeait, alors qu’ils en avaient avant la prothèse. Ce résultat suggère que l’arthroplastie de hanche peut effectivement atténuer la sensibilité barométrique de l’articulation chez de nombreux patients.
Néanmoins, tous ne sont pas soulagés de la sorte. 31 % des patients qui présentaient des douleurs météorologiques avant l’ATH en souffraient toujours après (soit environ un sur trois parmi ce sous-groupe)*. Il est intéressant de noter que ce taux de persistance concerne surtout les patients qui, avant l’opération, ressentaient l’effet du temps dans plusieurs articulations à la fois (par ex. hanche et genou). Chez ces patients polyarthrosiques ou atteints de maladies inflammatoires systémiques, remplacer la hanche ne pouvait pas, à lui seul, abolir toute douleur météorologique – leurs autres articulations restant sensibles aux changements de temps.
Par ailleurs, l’étude révèle qu’une proportion non négligeable de patients opérés – environ 9 % – ont vu apparaître de nouvelles douleurs météorologiques post-opératoires alors qu’ils n’avaient pas ce problème avant*. Autrement dit, quelques patients ont commencé à ressentir des douleurs articulaires influencées par la météo après leur arthroplastie de hanche. Ce phénomène de douleurs météorologiques de novo après chirurgie peut surprendre. Les auteurs n’ont pas de réponse définitive quant à son mécanisme, mais on peut émettre l’hypothèse que certains patients, libérés de la douleur arthrosique constante, deviennent plus attentifs à d’autres sensations, ou que des changements biomécaniques post-ATH (différences de longueur de membre, modifications de l’appui) pourraient contribuer à faire émerger des douleurs jusqu’alors latentes. Il est aussi possible que ces douleurs nouvelles traduisent l’évolution d’autres articulations (genoux, colonne, etc.) qui, avec le temps, développent à leur tour une sensibilité aux conditions climatiques.
En chiffres absolus, après une ATH, environ 12 % des patients de la cohorte présentaient des douleurs articulaires influencées par la météo (tous patients confondus, qu’ils en aient eu ou non auparavant). Ce taux global post-opératoire reste inférieur à la prévalence pré-opératoire (12 % vs 18 % des patients), ce qui reflète l’amélioration apportée par la chirurgie. Cependant, comme indiqué, cette amélioration se concentre surtout chez les patients qui n’avaient qu’une atteinte locale (la hanche uniquement). Chez les patients déjà météosensibles avant l’ATH, la persistance est notable (≈ 31 % continuent à ressentir l’effet du climat). L’étude a également identifié des profils à risque de douleurs météorologiques persistantes ou nouvelles après l’implantation. Les patients plus âgés et ceux avec un IMC élevé sont surreprésentés dans le groupe avec douleurs météorologiques post-ATH*. De plus, les patients dont le diagnostic initial était une pathologie inflammatoire (telle que la polyarthrite rhumatoïde ou la spondylarthrite ankylosante) ou une ostéonécrose de la tête fémorale sont plus enclins à conserver des douleurs météorologiques après l’intervention que ceux atteints d’arthrose primitive*. Ceci concorde avec l’idée que les douleurs météorologiques sont liées à une dysfonction globale du système ostéo-articulaire (inflammation, atteintes multiples) plus qu’à un seul joint arthrosique isolé.
Discussion
Cette étude apporte des éléments précieux pour la pratique clinique orthopédique. Pour les patients arthrosiques sans pathologie généralisée, on retiendra que l’arthroplastie totale de hanche apporte un bénéfice additionnel : non seulement elle soulage la douleur mécanique d’usure, mais elle peut aussi atténuer la sensibilité météorologique de l’articulation. Cela pourra être mentionné aux patients qui se plaignent que « la pluie accentue la douleur de leur hanche » – ils peuvent s’attendre, dans la majorité des cas, à ce que ce phénomène diminue notablement après la pose d’une prothèse. L’amélioration n’est pas garantie pour tous, mais près de 70 % de ces patients pourraient ne plus souffrir du tout de ce type de douleur après l’ATH, ce qui est un argument supplémentaire en faveur de la chirurgie chez un patient météosensible très gêné.
En revanche, chez les patients polyarticulaires ou atteints de maladies rhumatismales systémiques, l’ATH n’est pas une panacée face aux douleurs météorologiques. Si un patient souffre “du haut en bas” quand le temps change (par exemple des hanches et des genoux, voire du dos), il y a de fortes chances qu’il conserve une telle sensibilité après la chirurgie de la hanche, car d’autres articulations non remplacées continueront de réagir aux changements climatiques. De plus, ce profil de patient (souvent plus âgé, en surpoids, avec comorbidités arthritiques) présente un terrain propice à la persistance des douleurs d’origine météo. Pour le chirurgien, cela signifie qu’il faut moduler les attentes de ces patients : une prothèse de hanche leur apportera un soulagement fonctionnel et antalgique important, mais ne fera pas disparaître toutes leurs douleurs, notamment celles liées aux fluctuations du climat. Un suivi post-opératoire axé sur la prise en charge globale de l’arthrose (kinésithérapie, traitement des autres articulations douloureuses, exercice physique adapté) restera nécessaire pour ces patients.
L’émergence de douleurs météorologiques de novo chez ~9 % des opérés est un résultat intrigant, qui mérite d’être étudié plus avant. Cela pourrait refléter l’apparition d’une nouvelle arthropathie (par exemple, le genou controlatéral devenant arthrosique après que la hanche a été traitée, transférant la charge) ou simplement la variabilité individuelle. Quoi qu’il en soit, cela rappelle que l’arthroplastie n’immunise pas complètement contre ce type de douleur. Même après une opération techniquement réussie, un patient peut commencer à éprouver des symptômes qu’il n’avait pas avant – il convient donc de l’y préparer et de l’accompagner si cela survient.
En conclusion, cette étude publiée dans le Bone & Joint Journal apporte un éclairage original sur le phénomène de douleurs articulaires influencées par le climat chez les patients arthrosiques de la hanche. Pour la communauté orthopédique, ces résultats soulignent l’importance d’aborder le sujet des “douleurs météorologiques” avec nos patients. Plutôt que de balayer ces plaintes d’un revers de main ou de les attribuer uniquement à des croyances, il est utile de les quantifier et d’en tenir compte dans la prise en charge. L’arthroplastie totale de hanche s’avère efficace pour réduire ces douleurs chez de nombreux patients, sans toutefois les éliminer chez tous. Ce message doit être clairement communiqué en préopératoire : « Votre nouvelle hanche devrait vous faire beaucoup moins mal, y compris lorsque le temps change, mais si vous avez d’autres articulations fragiles, il est possible que vous ressentiez encore des douleurs liées à la météo. » Armer le patient d’une compréhension réaliste de ce qu’il peut attendre de la chirurgie fait partie intégrante d’une bonne prise en charge centrée sur le patient, améliorant la satisfaction post-opératoire et la confiance dans le traitement. En parallèle, la persistance ou l’apparition de douleurs météorologiques après une ATH devra inciter le clinicien à rechercher d’autres causes (atteinte des articulations adjacentes, facteurs psychosensoriels, etc.) et à proposer des mesures d’accompagnement (conseils vestimentaires, exercices, traitements adjuvants) pour améliorer la qualité de vie du patient. En définitive, « braver la tempête » des douleurs météorologiques est un défi où le chirurgien et le patient devront collaborer, l’un apportant la solution chirurgicale, l’autre s’armant de patience et de compréhension face à un phénomène aussi ancien que la médecine elle-même.
3. Références citées
- Laverdière C, Hart A, Elmasry W, Capolicchio T, Smith K, Tanzer M. Weathering the Storm: The Impact of Total Hip Arthroplasty on Weather-Related Pain. Bone & Joint Journal 2025; 107-B(Suppl A):16–21. DOI: 10.1302/1358-992X.2024.16.091. *
- Boodman E. Why patients blame the weather for their aching joints. PBS NewsHour (article initialement publié par STAT); 13 janvier 2017. *
- Central Ohio Spine and Joint (Blog médical). The Truth About Weather Changes and Joint Pain: What Science Says. Article du 4 octobre 2023, consulté en 2025. *