Contexte et indications de la ténodèse du biceps
La longue portion du biceps (LPB) est fréquemment impliquée dans les douleurs d’épaule, en particulier lors de lésions de la coiffe des rotateurs. Des études histologiques ont montré que les tendons inflammatoires du biceps présentent des signes marqués de tendinopathie (désorganisation du collagène, infiltrat inflammatoire, néovascularisation, innervation accrue) suggérant que le biceps peut agir comme un générateur de douleur important dans l’articulation de l’épaule*. En pratique, les pathologies de la LPB (tendinite, instabilité, SLAP lésions, déchirures partielles) sont souvent rencontrées et peuvent nécessiter un geste chirurgical lorsque le traitement conservateur échoue.
La ténodèse du biceps (fixation du tendon du biceps sur l’humérus) est une alternative à la simple ténotomie (section du tendon). Chez les patients jeunes et actifs, on privilégie généralement la ténodèse afin de maintenir la fonction musculaire et d’éviter le « déficit de Popeye » (déformation esthétique du biceps) ainsi que les crampes douloureuses liées à la rétraction du muscle**. En effet, bien que ténodèse et ténotomie offrent toutes deux un soulagement comparable de la douleur et une amélioration fonctionnelle similaire à court terme*, la ténodèse réduit significativement le risque de déformation de Popeye post-opératoire par rapport à la ténotomie*. Par ailleurs, fixer le tendon permet de préserver sa tension et sa longueur, prévenant ainsi l’atrophie musculaire et conservant la force de flexion et supination du coude*. Ces avantages sont particulièrement importants chez les patients sportifs ou exigeants sur le plan fonctionnel. Néanmoins, la ténodèse est un geste un peu plus long et coûteux que la ténotomie, et son bénéfice chez un patient plus âgé ou sédentaire doit être pondéré au cas par cas*.
Les indications classiques de la ténodèse proximale du biceps incluent les lésions instables ou dégénératives de la LPB (souvent associées à des ruptures de coiffe), les lésions SLAP symptomatiques chez des patients plus âgés, et les cas de tenosynovite ou subluxation du tendon dans la gouttière bicipitale. Dans ces situations, la ténodèse permet de retirer le segment pathologique intra-articulaire tout en conservant la fonction du biceps. La décision de réaliser une ténodèse prend en compte l’âge, le niveau d’activité, les exigences esthétiques et la présence de co-morbidités au niveau de l’épaule (par exemple, on peut associer une ténodèse lors d’une réparation de coiffe afin de traiter simultanément une tendinopathie du biceps).
Technique « Double-Cinch Double-Cerclage » arthroscopique
La technique Double-Cinch Double-Cerclage décrite par Fierro Porto et al. (2025) est une approche arthroscopique innovante pour la ténodèse proximale du biceps dans la gouttière bicipitale. Son principe est de réaliser une ténodèse intra-articulaire haute, au niveau du rebord supérieur de la gouttière, en fixant solidement la LPB par un double enroulement de sutures autour du tendon (« double-cinch ») combiné à un double cerclage renforcé (« double-cerclage »)*. Concrètement, la méthode utilise deux passages de suture distincts – l’un circonférentiel autour du tendon, l’autre au travers du tendon – procurant une fixation circonférentielle et trans-tendineuse du biceps, optimisant ainsi la solidité biomécanique de la réparation*. Il s’agit d’une ténodèse entièrement arthroscopique, ne nécessitant aucune ouverture supplémentaire, ce qui la rend à la fois précise et minimalement invasive.
Approche opératoire et installation
Portails arthroscopiques typiques pour une ténodèse du biceps (épaule droite) – Le point 1 indique le portail postérieur (voie d’arthroscope); 2 le portail latéral subacromial; 3 le portail antérolatéral; 4 le portail antérieur (intervalle des rotateurs)*.
L’intervention est réalisée sous arthroscopie d’épaule, classiquement en position demie-assise (« fauteuil de plage ») ou en décubitus latéral selon les préférences. Après l’examen arthroscopique initial via le portail postérieur, on visualise l’attache proximale du biceps au niveau du bourrelet supérieur. Un portail antérieur (dans l’intervalle des rotateurs) et/ou antérolatéral est établi pour instrumenter la région de la gouttière bicipitale*. On évalue l’état du tendon et d’éventuelles lésions associées (ex : lésions du labrum ou de la coiffe). Si le biceps est pathologique, sa ténodèse arthroscopique au sommet de la gouttière est entreprise.
Avant la fixation, la portion proximale de la gouttière bicipitale est préparée : on réalise un débridement de la synoviale et un fraisage léger de l’os à l’endroit prévu de la ténodèse (au niveau du sillon bicipital, juste en dessous de l’articulation) afin de créer un lit de saignement propice à la cicatrisation du tendon. Cette préparation se fait via le portail antérolatéral sous contrôle de la caméra postérieure.
Étapes opératoires de la technique double-cinch double-cerclage
- Placement de l’ancrage et passage de la première suture (« cinch » circonférentiel) – Un ancrage d’implant (souvent un ancrage à sutures non résorbables) est inséré dans l’humérus au niveau supérieur de la gouttière bicipitale, à proximité du bord articulaire*. Cet ancrage, préchargé de deux fils de suture, servira de point fixe pour la ténodèse. À l’aide d’un passe-fil arthroscopique courbe introduit par le portail antérolatéral, le chirurgien passe le premier fil autour de la LPB de façon circonférentielle. Concrètement, l’instrument (par ex. un CleverHook courbé à 30°) est glissé sous le tendon sans le perforer, permettant de ramener une boucle de suture autour de la circonférence du tendon**. Ce premier lasso enserre complètement le tendon (suture de type « cinch » auto-bloquant), équivalent à un premier cerclage.
- Passage de la deuxième suture (cerclage trans-tendineux) – Le second fil de suture, monté sur une aiguille ou passe-fil, est ensuite transfixié à travers le tendon du biceps pour créer le second lien de fixation. Typiquement, on pique la LPB au moyen du passe-fil arthroscopique, on récupère l’extrémité libre du fil de l’autre côté, puis on le repasse de manière à obtenir une boucle passant au travers du tendon (« cinch » trans-tendineux). Cette manœuvre aboutit à un double cerclage : le biceps est maintenant engagé par deux boucles distinctes, l’une entourant le tendon et l’autre le traversant, ce qui répartit les forces de manière robuste. Ces deux sutures en place constituent la configuration Double-Cinch Double-Cerclage décrite par les auteurs, procurant une fixation circonférentielle complète du tendon au site de ténodèse.
- Fixation du tendon et ligature – Une fois les deux boucles de suture passées correctement, le chirurgien les noue fermement sur l’ancrage pour arrimer le tendon contre la paroi de la gouttière. Des nœuds alternés (du type demi-clés inversées) peuvent être effectués arthroscopiquement pour sécuriser chaque suture (par exemple, 4 à 5 demi-nœuds alternés, comme décrit dans la technique du double lasso*). Le serrage simultané des deux sutures circonférentielle et trans-tendineuse agit comme un double cerclage qui plaque solidement la LPB dans la gouttière. Il est crucial de vérifier arthroscopiquement que le tendon est bien fixé sans glissement et que la tension est appropriée.
- Section proximale du tendon (« tenotomie de libération ») – Après fixation, la portion proximale du biceps restant attachée au labrum est sectionnée pour compléter la ténodèse. Cette ténotomie de la LPB au niveau de son insertion supérieure (origine glénoïdienne) libère le tendon de son attache intra-articulaire. Le tendon est alors fixé uniquement par l’ancrage dans la gouttière; la ténodèse est ainsi réalisée. Le moignon proximal du biceps (vers le labrum) est généralement réséqué pour éviter tout conflit résiduel. À ce stade, on peut tester la stabilité de la fixation en mobilisant légèrement le coude du patient : le montage Double-Cinch doit maintenir le tendon en place sans laxité.
- Vérifications finales et nettoyage – On contrôle l’absence de conflit de la réparation avec les structures adjacentes (tendon sous-scapulaire, tendon sus-épineux si présent). On peut lisser les extrémités de sutures et exciser tout fragment de tendon inutile dans la gouttière. La zone de ténodèse est finalement rincée. La procédure peut être combinée à d’autres gestes arthroscopiques le cas échéant (examen de la coiffe, bursectomie, etc.) sans nécessité de portails supplémentaires.
Remarques techniques : Cette technique s’effectue via les portails standard de l’arthroscopie d’épaule, sans incision ouverte additionnelle. Le choix du type d’ancrage peut varier (ancrage métallique ou bioabsorbable, ou même ancrage « all-suture ») mais l’essentiel est d’avoir deux brins de suture solides pour réaliser les deux boucles. La réalisation des nœuds arthroscopiques requiert une certaine dextérité, mais elle est facilitée par le fait que les deux sutures entourent fermement le tendon (« cinch ») avant même le nouage, conférant déjà une tenue initiale. Selon Fierro Porto et al., cette double boucle confère une fixation stable du tendon avec une configuration simple une fois maîtrisée*. Une attention particulière doit être portée à la tension appliquée avant de nouer (pour éviter un tendon trop lâche ou, au contraire, une sur-tension pouvant cisailler le tendon).
Après la ténodèse, la rééducation suit en général les protocoles classiques de ténodèse du biceps proximale : immobilisation relative coude au corps pendant quelques semaines, mobilisation passive/assistée précoce de l’épaule, et renforcement musculaire différé (pas d’utilisation active du biceps pendant ~6 semaines).
Comparaison avec les autres méthodes de ténodèse du biceps
Plusieurs techniques existent pour la ténodèse de la longue portion du biceps, chacune ayant ses particularités techniques et ses avantages/inconvénients. Les trois approches les plus courantes sont la ténodèse sous-pectorale ouverte, la ténodèse suprapectorale arthroscopique (dans la gouttière bicipitale) et la ténodèse haute intra-articulaire (au sommet de la gouttière, comme dans la technique présentée). Par ailleurs, différentes méthodes de fixation sont utilisées : ancrages avec sutures, vis d’interférence, boutons corticales, sutures trans-osseuses, etc. Voici un comparatif synthétique :
- Ténodèse sous-pectorale (ouverte) : Considérée par beaucoup comme la référence traditionnelle, cette technique fixe le tendon du biceps à l’extérieur de la gouttière, au niveau de l’humérus proximal juste sous le muscle grand pectoral. Elle nécessite une petite incision de ~3-5 cm dans la région axillaire. On libère et on retire la portion proximale du tendon (éliminant ainsi toute la partie potentiellement pathologique dans la gouttière), puis on fixe le tendon soit par une vis d’interférence dans un tunnel osseux, soit par un endo-bouton cortical, soit par des sutures transosseuses. L’avantage principal est de supprimer toute la portion intra-articulaire et intra-gouttière du tendon, ce qui peut réduire le risque de douleur résiduelle dans la coulisse bicipitale. Les taux de succès clinique de la ténodèse sous-pectorale sont excellents sur le soulagement de la douleur et la fonction. Toutefois, l’approche ouverte comporte un risque (faible) de complications : lésions nerveuses (nerf musculo-cutané à proximité), infections, cicatrice. De plus, comparée à l’arthroscopie, elle ajoute un temps opératoire et une zone opératoire supplémentaire. Malgré cela, de nombreux chirurgiens continuent de l’utiliser surtout chez les patients jeunes, musclés ou manuels, arguant d’une fixation très solide et d’un abord direct du tendon pathologique. Sur le plan des résultats, une étude récente de grande envergure (1 923 cas) a montré qu’à 2 ans de recul, la ténodèse sous-pectorale ouverte donne des résultats équivalents aux techniques arthroscopiques en termes de soulagement de la douleur et de scores fonctionnels*.
- Ténodèse suprapectorale arthroscopique (dans la gouttière) : Cette méthode, de plus en plus populaire, consiste à fixer le tendon du biceps dans la gouttière bicipitale, soit au moyen d’un ancrage intra-osseux (ancrage à sutures) avec ligature du tendon sur l’os, soit via une vis d’interférence insérée arthroscopiquement ou par mini-ouverture. Le site de fixation se situe généralement au niveau du sillon, au-dessus du tendon du grand pectoral (d’où le terme suprapectoral). L’approche est minimalement invasive (réalisée par les portails arthroscopiques, parfois avec une courte incision accessoire pour la vis). Par rapport à la sous-pectorale, elle évite une dissection plus distale et minimise le risque pour le nerf musculo-cutané. La fixation par vis d’interférence dans la gouttière confère une bonne stabilité initiale (>200 N dans les tests biomécaniques) similaire à la fixation par ancrage avec sutures*. La question de la persistance d’une portion de tendon dans la gouttière (entre le site de fixation suprapectoral et la jonction musculo-tendineuse) est parfois évoquée : si cette portion est dégénérative, certains craignent qu’elle puisse continuer à générer des douleurs ou des phénomènes de clivage. Cependant, les études cliniques suggèrent que les résultats en termes de douleur sont comparables entre ténodèse suprapectorale et sous-pectorale, sans différence significative de douleur résiduelle à court et moyen terme*. En somme, la ténodèse arthroscopique suprapectorale offre un bon compromis : elle est moins invasive qu’une ouverture sous-pectorale tout en délivrant une fixation solide du tendon.
- Techniques arthroscopiques intra-articulaires hautes : C’est dans cette catégorie que s’inscrit la technique Double-Cinch Double-Cerclage. Plutôt que de fixer le tendon plus bas dans la gouttière, on le tenodèse très haut, juste à la sortie de l’articulation, à la limite supérieure du sillon bicipital. D’autres techniques comparables existent, comme la technique du “Double Lasso-Loop” décrite en 2019, utilisant deux boucles de suture passées autour de la LPB et un seul ancrage, qui a démontré une fixation stable et un montage simple*. De même, la technique « Loop ’n’ Tack » ou la technique « Double Secure Loop » avec ancrage tout-suture sont des variations visant à renforcer la fixation arthroscopique du biceps. La spécificité de la méthode Double-Cinch Double-Cerclage de Fierro et al. est d’apporter une double sécurité par deux cerclages complétant la fixation au plus près de l’articulation, sans ajout de matériel complexe. Comparée aux techniques arthroscopiques plus classiques (une seule suture ou un seul cerclage), on peut s’attendre à une tenue mécanique supérieure grâce à la double capture du tendon. Par ailleurs, tout se fait par les mêmes ports arthroscopiques que ceux utilisés pour explorer l’articulation ou réparer une coiffe, ce qui simplifie l’extension du geste en cours d’arthroscopie sans nécessiter de changement de position ni de nouvelle incision. Bien qu’il n’existe pas encore d’étude clinique comparant directement cette technique à d’autres, l’expérience initiale rapportée souligne une fixation fiable du tendon et un apprentissage abordable pour les chirurgiens familiarisés avec les nœuds arthroscopiques*.
En résumé, aucune méthode de ténodèse du biceps ne s’est avérée cliniquement supérieure aux autres à moyen terme – le choix dépend donc surtout de la préférence du chirurgien, de l’équipement disponible et du contexte du patient*. Les techniques arthroscopiques modernes, dont la double-cinch double-cerclage, tendent à réduire l’invasivité tout en offrant une fixation robuste, ce qui en fait des alternatives séduisantes à la ténodèse ouverte traditionnelle.
Intérêt pédagogique et pratique pour les jeunes chirurgiens
Pour les chirurgiens orthopédistes en formation, la technique Double-Cinch Double-Cerclage présente plusieurs intérêts pédagogiques notables. D’une part, elle s’intègre naturellement dans la pratique de l’arthroscopie de l’épaule – un domaine en expansion constante. Apprendre cette procédure permet aux jeunes chirurgiens de renforcer leur maîtrise des gestes arthroscopiques avancés, notamment la manipulation de sutures et la réalisation de nœuds intra-articulaires. La double-cinch double-cerclage requiert par exemple de savoir utiliser un passe-fil courbe dans des espaces restreints et d’exécuter des nœuds coulants sécurisés, des compétences transposables à d’autres interventions (réparation de coiffe, tenodèse du subscapulaire, etc.). Ainsi, sa courbe d’apprentissage contribue de manière formatrice à l’acquisition de gestes fins et précis sous arthroscopie.
D’autre part, cette technique offre une alternative moins invasive qu’une ténodèse ouverte, ce qui peut être mis en avant dans la formation pour privilégier les approches anatomiques préservant les tissus. Les jeunes chirurgiens apprennent à traiter la pathologie du biceps sans ouvrir l’épaule, ce qui réduit le temps de récupération du patient et les complications liées aux voies ouvertes. Cela correspond à l’évolution actuelle de la chirurgie orthopédique vers des techniques mini-invasives guidées par l’image.
Un autre avantage pédagogique est la compréhension améliorée de l’anatomie de la gouttière bicipitale et des structures adjacentes. En réalisant une ténodèse arthroscopique haute, le chirurgien doit bien visualiser l’empreinte du biceps sur l’humérus, repérer la sortie du tendon du biceps de l’articulation et faire attention à la proximité du tendon du sous-scapulaire et de la tête humérale. Cet exercice renforce la connaissance de l’anatomie endoscopique de l’épaule.
Enfin, pour les encadrants (enseignants en orthopédie), la technique double-cinch double-cerclage peut être un outil pédagogique pour enseigner la gestion simultanée de multiples sutures arthroscopiques. Superviser un jeune chirurgien dans cette procédure permet de lui apprendre l’organisation et l’anticipation des gestes (par exemple, éviter l’emmêlement des fils, planifier l’ordre des nœuds, etc.). La satisfaction de réaliser une ténodèse du biceps entièrement arthroscopique, en reproduisant fidèlement les étapes, est également valorisante pour l’apprenant et peut renforcer sa confiance en chirurgie arthroscopique.
Avantages et limites de la technique Double-Cinch Double-Cerclage
Avantages : La technique présente de nombreux atouts pratiques. En premier lieu, elle assure une fixation solide du tendon grâce à la double boucle de suture. Cette redondance de fixation réduit le risque de défaillance mécanique : si l’une des boucles venait à glisser ou si le tendon se délaminait partiellement, la seconde suture agirait comme sauvegarde. Biomecaniquement, on peut s’attendre à une meilleure répartition des contraintes le long du tendon par rapport à une suture unique. Ensuite, il s’agit d’une procédure tout-arthroscopique : il n’y a donc pas de cicatrice additionnelle ni de dissection musculaire, ce qui diminue les douleurs post-opératoires et accélère potentiellement la récupération fonctionnelle. La zone de fixation haute évite de devoir explorer la partie inférieure du sillon bicipital, limitant le risque d’atteinte neurovasculaire (le nerf musculo-cutané étant plus distal, près du tendon du grand pectoral). Un autre avantage est qu’elle s’intègre facilement dans une arthroscopie combinée : par exemple, lors d’une réparation de coiffe, il est aisé dans le même temps de réaliser cette ténodèse sans redéclencher une nouvelle procédure séparée. Sur le plan du coût, la technique n’emploie qu’un seul ancrage standard et des sutures classiques, sans nécessiter d’implant coûteux supplémentaire (comme certaines vis spécifiques ou tenodesis device) – ce qui peut la rendre attrayante d’un point de vue économique. Enfin, en termes de résultats cliniques attendus, elle devrait apporter les mêmes bénéfices qu’une ténodèse conventionnelle en évitant le Popeye et les crampes du biceps**, avec une satisfaction patient potentiellement accrue grâce à l’absence d’incision visible.
Limites : En contrepartie, la Double-Cinch Double-Cerclage possède quelques inconvénients ou du moins des points de vigilance. Sa réalisation technique est plus complexe qu’une ténodèse ouverte simple ou qu’une ténotomie : il faut une certaine expérience arthroscopique pour la mener à bien de façon fluide. La gestion de deux sutures en arthroscopie peut s’avérer délicate pour un opérateur novice (risque d’emmêlement des fils, de mauvais passage du lasso, etc.). Le temps opératoire arthroscopique peut donc être un peu plus long au début, même si avec l’habitude la différence s’amenuise. Par ailleurs, la ténodèse étant effectuée très proximalement, on laisse en place une portion plus longue de tendon dans la gouttière (du site de fixation jusqu’à la jonction musculo-tendineuse) comparé à une ténodèse sous-pectorale. Si ce segment tendineux est porteur de lésions dégénératives (striations, synovite), certains redoutent qu’il puisse continuer à provoquer des symptômes ou à s’effilocher avec le temps. Il sera important, lors de la sélection des patients, d’évaluer l’état de la portion distale du tendon : en présence de fortes altérations sur toute la longueur, une ténodèse plus basse ou une ténotomie pourraient être discutées. À ce jour, il manque du recul clinique spécifiquement sur cette technique pour confirmer l’absence de douleur résiduelle à moyen et long terme. Les données disponibles suggèrent néanmoins que la localisation de la ténodèse (haute vs basse) n’altère pas le résultat clinique à 2 ans*.
Un autre point à considérer est la solidité des nœuds de suture. La technique repose sur des nœuds réalisés arthroscopiquement qui doivent rester bien serrés pendant la cicatrisation. Une erreur technique dans la confection des nœuds (par exemple un nœud mal bloqué) pourrait compromettre la ténodèse. L’apprentissage rigoureux de la réalisation des half-hitches et de leur sécurisation est donc indispensable. Il en va de même de la qualité de l’ancrage osseux : comme tout ancrage, il peut y avoir un risque (faible) d’arrachement si l’os est ostéoporotique ou si la position est trop marginale. Heureusement, ces ancres modernes supportent généralement des charges élevées (plusieurs dizaines de kilogrammes) et la double suture répartit d’autant plus la charge, minimisant ce risque.
Enfin, la convalescence après une ténodèse arthroscopique double-cinch reste similaire aux autres techniques de ténodèse proximale – il ne faut pas espérer un retour plus précoce aux efforts intenses sous prétexte de l’arthroscopie. Le tendon doit avoir le temps de se cicatriser solidement à l’os (environ 6 semaines pour un début de reprise progressive). Une sollicitation biceps trop précoce exposerait à un échec de la ténodèse quelle que soit la technique utilisée.
Perspectives cliniques et recommandations
La technique arthroscopique double-cinch double-cerclage pour la ténodèse du biceps est une avancée prometteuse qui s’inscrit dans la tendance actuelle vers des réparations robustes minimisant l’invasivité. Pour les chirurgiens orthopédistes, son adoption offre la possibilité de traiter les pathologies de la LPB lors d’une arthroscopie de l’épaule, sans ouvrir, tout en garantissant une fixation fiable du tendon.
Sur le plan clinique, il est recommandé de considérer une ténodèse (plutôt qu’une ténotomie) chez les patients jeunes, sportifs ou soucieux de l’esthétique musculaire, afin de prévenir le signe de Popeye et de maintenir la force du bras*. La technique double-cinch double-cerclage devient alors une option de choix dans cette population, en particulier si le chirurgien possède l’expertise arthroscopique adéquate. Bien entendu, il convient de toujours individualiser la décision : chez un patient plus âgé, peu actif, et tolérant à un éventuel léger déficit esthétique, une simple ténotomie peut suffire avec un minimum de risque opératoire.
Du point de vue de l’enseignement, il serait bénéfique d’intégrer cette technique dans les programmes de formation en chirurgie de l’épaule. Des ateliers sur simulateur ou sur pièce anatomique pourraient aider les jeunes praticiens à se familiariser avec le passage des doubles sutures et la réalisation des nœuds arthroscopiques. À mesure que de plus amples données seront publiées sur les résultats cliniques de la double-cinch double-cerclage (résistance à l’effort, taux d’échec, satisfaction des patients, etc.), il sera possible d’affiner les indications. Il serait intéressant, par exemple, de comparer à long terme cette technique à la ténodèse sous-pectorale en termes de taux de douleur résiduelle dans la gouttière bicipitale ou de récupération isocinétique de la force du biceps.
En guise de perspective, on peut envisager que l’amélioration continue du matériel facilitera encore ce type de ténodèse arthroscopique complexe. L’émergence d’ancres sans nœuds (knotless) ou de dispositifs permettant de réaliser un cerclage circonférentiel en un seul geste pourrait simplifier la procédure et la rendre plus accessible. Néanmoins, la technique décrite par Fierro Porto et al. a l’avantage de n’utiliser que du matériel standard et maîtrisé, ce qui la rend applicable dès à présent dans la plupart des centres équipés pour l’arthroscopie.
En conclusion, la ténodèse proximale du biceps par double-cinch double-cerclage arthroscopique représente une alternative fiable et pédagogique aux méthodes traditionnelles. Elle offre aux patients une solution efficace pour soulager les douleurs liées aux pathologies du biceps tout en minimisant l’impact chirurgical, et aux chirurgiens un moyen d’approfondir leur savoir-faire arthroscopique. Les premières données suggèrent des résultats cliniques satisfaisants, comparables aux techniques éprouvées*. Dans l’attente de validations par des études à plus long terme, cette technique peut dès à présent être recommandée chez des patients bien sélectionnés et entre des mains entraînées, en visant le double objectif d’une réparation solide et d’une récupération optimisée.
Références
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