Résumé
Les Digital Twins (DT) ou jumeaux numériques représentent une révolution technologique en chirurgie orthopédique, notamment dans le domaine de la prothèse totale de genou (PTG). Ces modèles virtuels personnalisés, construits à partir de données biomécaniques et cliniques, permettent de simuler les interactions entre l’implant et l’environnement musculosquelettique du patient. Cet article présente l’état actuel des DT dans la planification et le suivi de la PTG, discute des limites technologiques et cliniques actuelles, illustre leur intérêt par des cas cliniques, et explore les implications pédagogiques pour la formation des internes.
Introduction
La prothèse totale de genou est l’une des interventions les plus réalisées en orthopédie, avec une croissance annuelle mondiale de plus de 5% [1]. Malgré l’amélioration des techniques chirurgicales et des implants, 15 à 20% des patients demeurent insatisfaits [2]. Cette variabilité des résultats repose en partie sur une planification standardisée peu adaptée aux caractéristiques individuelles. Les Digital Twins, en intégrant des données biomécaniques, radiologiques et dynamiques du patient, ouvrent la voie à une chirurgie véritablement personnalisée et prédictive.
Données cliniques et principes technologiques
Un Digital Twin est une réplique numérique dynamique d’un système réel – ici, le genou du patient. Dans le contexte de la PTG, il repose sur plusieurs briques technologiques :
- Modélisation géométrique : reconstruction 3D à partir d’IRM ou scanner.
- Simulation biomécanique : intégration de modèles d’éléments finis (FEA) ou multibody dynamics (MBD) pour simuler les contraintes, forces, et amplitudes.
- Données temps réel : capteurs portables (IMUs) ou plateformes connectées alimentent le DT en données de marche ou de rééducation.
- IA et apprentissage automatique : les algorithmes de machine learning prédisent les résultats cliniques à partir d’historiques similaires.
Selon Diniz et al. (2025), les premières applications cliniques des DT en orthopédie concernent la prédiction des résultats postopératoires, l’optimisation des coupes osseuses, et l’adaptation dynamique de la rééducation [3].
Exemples cliniques d’application
Cas 1 : Personnalisation des coupes osseuses
Un patient de 68 ans, actif, présente une gonarthrose tricompartmentale avec varus marqué. Un DT est généré à partir de son imagerie préopératoire et de son analyse de marche. La simulation prédit un point de contact tibio-fémoral antérieur si l’alignement mécanique strict est appliqué. L’équipe décide d’une stratégie d’alignement cinématique modifiée. Le suivi montre une meilleure satisfaction fonctionnelle et une stabilité ligamentaire peropératoire optimisée.
Cas 2 : Suivi post-opératoire par capteurs intégrés
Une patiente de 72 ans bénéficie d’une PTG assistée par robot avec génération de jumeau numérique postopératoire. Des capteurs inertiels mesurent les progrès de sa flexion et extension au cours des 6 premières semaines. Le DT détecte un défaut d’extension récurrent, lié à un schéma compensatoire en flexion plantaire, corrigé par un ajustement du protocole de rééducation.
Discussion critique
Avantages cliniques
- Précision chirurgicale accrue : simulation prédictive des lignes de coupe, tensions ligamentaires, et balance posturale.
- Réduction des complications : meilleure anticipation des conflits rotuliens, surcorrections ou instabilités.
- Suivi longitudinal personnalisé : ajustement des protocoles de rééducation en fonction des prédictions du modèle.
Limites actuelles
- Complexité de mise en œuvre : génération du DT nécessite des moyens informatiques, des protocoles d’imagerie avancés et une infrastructure interopérable.
- Validation clinique incomplète : peu d’études randomisées ont comparé PTG standard versus PTG guidée par DT à ce jour.
- Défis éthiques et réglementaires : protection des données, biais algorithmiques, responsabilités médico-légales.
Implications pour la formation
Pour les internes et jeunes chirurgiens, l’usage du Digital Twin offre une plateforme pédagogique immersive :
- Simulation préopératoire interactive.
- Visualisation des conséquences mécaniques de différentes stratégies d’alignement.
- Approche réflexive et intégrée des cas cliniques complexes.
Des modules de formation intégrant l’analyse de jumeaux numériques pourraient être intégrés dans les cursus DES, en lien avec les laboratoires de biomécanique.
Conclusion
L’intégration des Digital Twins en chirurgie prothétique du genou représente une avancée majeure vers une orthopédie de précision. Leur capacité à modéliser finement les interactions entre implant et patient, à prédire les résultats fonctionnels, et à guider la rééducation post-opératoire, en fait un outil à fort potentiel. Toutefois, leur adoption à grande échelle nécessite des efforts de validation clinique, de structuration réglementaire, et de formation ciblée. En tant qu’enseignants et praticiens, il nous revient d’initier cette transformation technologique au service de nos patients et de nos futurs collègues.
Références bibliographiques
- Kurtz S, Ong K, Lau E, et al. Projections of primary and revision hip and knee arthroplasty in the United States. J Bone Joint Surg Am. 2007;89(4):780-785. *
- Bourne RB, Chesworth BM, Davis AM, et al. Patient satisfaction after total knee arthroplasty. Clin Orthop Relat Res. 2010;468(1):57-63. *
- Diniz P, Grimm B, Garcia F, et al. Digital twin systems for musculoskeletal applications: A current concepts review. Knee Surg Sports Traumatol Arthrosc. 2025;33(5):1892–1910. *
- Audenaert E, Pattyn C, Steenackers G, et al. Patient-specific finite element modeling for guided total knee arthroplasty. Comput Methods Biomech Biomed Engin. 2021;24(8):866-875. *
- Fu J, Colle F, Shah J, et al. Machine learning-based prediction of knee kinematics after TKA using patient-specific models. J Biomech. 2023;152:111513. *
- Parratte S, Lustig S, Servien E, et al. Alignment options for total knee arthroplasty: A systematic review. Orthop Traumatol Surg Res. 2022;108(6):103269. *