L’introduction du polyéthylène hautement réticulé (XLPE) au tournant des années 2000 a marqué un tournant majeur en arthroplastie totale de hanche. Comparé au polyéthylène conventionnel, ce matériau réticulé promettait une résistance à l’usure bien supérieure, avec l’objectif de réduire l’ostéolyse et d’augmenter la longévité des implants. Après vingt ans d’utilisation clinique, où en sommes-nous ? Une étude prospective randomisée à double insu avec 20 ans de suivi minimal fournit aujourd’hui des données de haute qualité pour répondre à cette question cruciale*.
Contexte : l’usure et l’ostéolyse comme ennemies de la prothèse – Dans les prothèses totales de hanche (PTH), les débris d’usure du polyéthylène peuvent induire une réaction ostéolytique destructive autour des implants. Ceci conduit à un descellement aseptique et à la nécessité de reprises chirurgicales (révisions) au fil du temps. Le polyéthylène conventionnel (ultra-haut poids moléculaire non réticulé) utilisé dans les années 1980–90 présentait des taux d’usure suffisants pour engendrer des ostéolyses chez un pourcentage non négligeable de patients après 10–15 ans. Le XLPE, obtenu par irradiation réticulaire du polymère et traitement thermique de stabilisation, a été développé pour diminuer drastiquement ces débris d’usure tout en conservant des propriétés mécaniques acceptables. Les études initiales à moyen terme étaient encourageantes : dès 10 ans de recul, on observait déjà beaucoup moins d’usure et moins d’ostéolyses avec le XLPE comparé au polyéthylène standard*. Le taux de révision associé s’en trouvait réduit en conséquence. La question restait de savoir si ces bénéfices se maintiendraient sur le très long terme, c’est-à-dire deux décennies après l’implantation.
L’étude randomisée de Devane et al. (20 ans de suivi) – Pour apporter un niveau de preuve élevé, une équipe néo-zélandaise a mené un essai clinique randomisé en double aveugle incluant 122 patients, chacun recevant une PTH identique à l’exception de la cupule en polyéthylène : un groupe avec insert conventionnel (polyéthylène UHMWPE standard, marque Enduron) et un groupe avec insert hautement réticulé (XLPE de première génération, marque Marathon). Tous les patients ont été suivis prospectivement avec des évaluations cliniques et radiographiques régulières pendant 20 ans. Fait remarquable, aucun patient n’a été perdu de vue sur toute la durée de l’étude, ce qui renforce la fiabilité des résultats présentés*.
Au terme de ce suivi de 20 ans, les résultats sont sans équivoque. L’insert XLPE surpasse largement le polyéthylène conventionnel sur les deux plans critiques que sont l’usure et la survie de l’implant. Sur les radiographies, l’usure linéaire de la cupule est extrêmement faible avec le Marathon XLPE : en moyenne ~0,03 mm par an (après la phase initiale de “rodage”), contre ~0,18 mm par an avec l’Enduron conventionnel*. Autrement dit, l’usure est environ 5 à 6 fois moindre grâce au polyéthylène réticulé. La différence cumulée est énorme sur 20 ans : l’étude rapporte une pénétration moyenne de la tête fémorale d’environ 0,36 mm seulement avec le XLPE, contre 1,0 mm avec le polyéthylène classique dans le même intervalle (valeurs moyennes). De plus, aucun cas d’usure traversante (pénétration complète de l’insert jusqu’à la coque métallique) n’a été observé dans le groupe XLPE, alors que plusieurs inserts conventionnels se sont usés jusqu’à la désintégration totale, un scénario catastrophique qui expose à une destruction osseuse massive.
Ces écarts d’usure se traduisent directement dans les taux de révision chirurgicale. Parmi les 122 prothèses initiales, un total de 37 ont nécessité une révision pendant la période d’étude (quelle qu’en soit la raison, hors infection). Sans surprise, la grande majorité de ces échecs provenaient du groupe polyéthylène conventionnel*. En effet, 28 patients du groupe Enduron (sur ~61) ont dû être réopérés, contre seulement 9 patients du groupe Marathon XLPE. Exprimé en pourcentage, cela correspond approximativement à 45 % de révisions à 20 ans avec le polyéthylène standard, contre 15 % avec le polyéthylène réticulé – soit un risque de défaillance divisé par trois en faveur du XLPE. Cet écart est considérable et statistiquement hautement significatif. Il s’explique en grande partie par la réduction des complications d’usure : moins d’ostéolyse, moins de descellements aseptiques tardifs et donc moins de chirurgies de révision pour changer les composants. Notons qu’aucune différence n’a été notée en dehors de ces problèmes d’usure (par exemple, les taux d’infection ou de luxation ne semblent pas affectés par le type de polyéthylène, selon les données disponibles).
Impact sur la pratique clinique – Vingt ans après l’adoption du XLPE, ces résultats apportent une confirmation éclatante que ce matériau a bien tenu ses promesses. Les chirurgiens orthopédistes ont désormais la preuve d’un bénéfice clinique majeur à long terme en faveur des inserts en polyéthylène réticulé. D’ailleurs, l’utilisation du XLPE est déjà devenue la norme au fil des deux dernières décennies, reléguant le polyéthylène conventionnel à des cas particuliers. Les registres nationaux confirment également cette tendance, avec des taux de révision pour ostéolyse en nette diminution depuis l’ère du XLPE*. Par exemple, une méta-analyse publiée en 2022 incluant plus de 1 100 hanches a montré que l’utilisation d’un polyéthylène hautement réticulé réduit de 70 % le risque d’ostéolyse et de 94 % le risque de révision pour usure par rapport à un polyéthylène classique*. Ces chiffres corroborent parfaitement les constatations de l’étude de 20 ans de Devane et al. et d’autres essais à plus court terme.
En conclusion, le polyéthylène hautement réticulé s’est imposé comme la référence pour les implants acétabulaires en arthroplastie de hanche. L’étude à 20 ans discutée ici – la plus longue du genre – démontre de manière irréfutable une amélioration substantielle de la durabilité des prothèses grâce à la réduction de l’usure. Pour les chirurgiens orthopédistes, cela se traduit par moins de reprises tardives pour descellement aseptique ou usure, et pour les patients, par une prothèse qui a beaucoup plus de chances de durer au-delà de deux décennies sans complications mécaniques. Bien sûr, il faudra continuer à surveiller les performances des nouveaux polyéthylènes réticulés à encore plus long terme (30–40 ans) ainsi que les éventuels effets du vieillissement du matériau (oxydation), mais à ce jour le bilan est extrêmement positif. En pratique quotidienne, ces données justifient pleinement de privilégier le XLPE comme standard de soin pour les arthroplasties totales de hanche, confirmant que l’évolution technologique introduite il y a 20 ans a effectivement prolongé la vie de nos prothèses et amélioré le sort de nos patients.
4. Références bibliographiques
- Devane P.A., Horne J.G., et al. Highly Cross-Linked Polyethylene Reduces Wear and Revision Rates in Total Hip Arthroplasty: A 10-Year Double-Blinded Randomized Controlled Trial. J Bone Joint Surg Am. 2017;99(20):1703-1714. DOI: 10.2106/JBJS.16.00878 *
- Devane P.A., Horne J.G., Chu A., Stanley J. A randomized prospective double-blind trial comparing highly cross-linked with conventional polyethylene in total hip arthroplasty: results at a minimum follow-up of 20 years. Bone & Joint Journal. 2025;107-B(5 Suppl A):22–31. DOI: 10.1302/0301-620X.107B5.BJJ-2024-1078.R1 *
- Yoon B.H., Park J.W., Lee Y.K., et al. Long-Term Wear-Related Complications of Cross-Linked Versus Conventional Polyethylene After Total Hip Arthroplasty: A Meta-Analysis. J Arthroplasty. 2022;37(11):2308-2315.e2. DOI: 10.1016/j.arth.2022.05.013 *